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Alzheimer.

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Silver786's avatar
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Depuis sa petite enfance, elle aimait jouer avec sa mémoire. Lorsqu'elle parlait, ou qu'elle pensait tout simplement, elle prenait un certain plaisir à remonter le fil de ce qui l'avait amenée à penser ou à dire quelque chose. Elle plongeait dans la mer de ses souvenirs et les découvrait sous tous leurs angles.
Elle remontait, remontait encore, toujours plus loin, cherchant toujours plus de précisions, de détails, en reconstruisant sa pensée, son schéma de pensée, tout en réfléchissant à la réflexion elle-même. Elle partait du tronc, descendait jusqu'aux racines les plus profondes, puis remontait aux branches les plus éloignées, la plus petite feuille, sa tige, ses nervures, sa chlorophylle.

Et puis la vieillesse vint, et le flot clair de ses pensées devint tourmenté, laborieux. Chaque souvenir semblait être à des années lumière, chaque bribe dont elle se souvenait finissait par s'user et disparaître. Ce trésor qu'elle chérissait devenait poussière, et s'amoindrissait avec le temps.

Ainsi, aussi sombre que la Grande Faucheuse, l'ombre de l'Alzheimer apparut, effaçant les traces de ses pas et se rapprochant de plus en plus de ses jambes fatiguées.
Qu'était-elle devenue, cette petite fille devenue femme, qui jonglait avec son passé comme personne, et pouvait ramener ses proches des années en arrière simplement en décrivant un évènement de l'époque ?

Une chambre. Claire et propre, assez vieille pour être chaleureuse, et ordonnée sans pour autant ressembler à ces froides chambres des hôpitaux. Un rayon de soleil s'insinue timidement dans la pièce, s'arrêtant aux pieds d'un lit. Une jeune fille s'étire et se lève avec douceur, la tête encore lourde de sommeil. Un coup d'œil par terre et elle repère ses pantoufles dans lesquelles elle glisse ses pieds fins, avant de se lever et de partir d'un pas aérien, une longue tresse tressautant entre ses reins. Elle ouvre en grand la fenêtre qui lui fait face et respire un grand bol d'air matinal.
Dehors, les oiseaux gazouillent allègrement, et le vent fait doucement bruisser les feuilles des grands arbres imposants du jardin.
Elle sursaute en sentant le contact d'une main sur son épaule, mais se calme derechef en découvrant son propriétaire. Avec douceur, elle pose sa propre main sur la sienne et sourit avec bonheur.


Une chambre. Sombre, presque abandonnée, les vêtements s'éparpillent un peu partout, des auréoles d'humidité décorent le vieux plafond. La pluie cogne à la fenêtre avec fracas, l'orage gronde et un éclair éclaire brusquement, l'espace de quelques secondes, la pièce sombre. Une vieille dame sursaute et se relève avec difficulté, hébétée. Lutant avec son énorme couette, elle finit par s'extirper de son lit et cherche avec peine ses pantoufles. Elle finit par les trouver, se saisit de ses lunettes sur sa petite table de chevet, se lève avec précaution et avance cahin-caha vers la fenêtre, traînant des pieds. Avec hésitation, ses mains tremblantes se posent sur la froide vitre de la fenêtre.

Dans ses yeux brille un soleil qui n'illumine pas le ciel qu'elle contemple d'un air béat.
Puis elle se tourne vivement vers la gauche, d'un air paniqué, avant de soupirer de contentement et de poser sa main sur sa propre épaule.

Prisonnière presque volontaire d'une journée qui recommence à l'infini, mais qu'elle a toujours le même plaisir à revivre, encore et encore.

Ultime souvenir.
Le thème :
Le cerveau humain

Les restrictions :
- Interdiction d'utiliser le mot "cerveau".
- Le récit devra être à la 3ème personne du singulier.
- Obligation d'insérer le mot "souvenir(s)".
Comments15
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Melody-of-night's avatar
C'est très sympa et mélancolique :)
Sa m'a fait peur de vieillir d'un cou je sais pas pourquoi XD