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Sentinelle - Chap. 1

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Silver786's avatar
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Ombre parmi les ombres, elle avance d'un pas léger, sans bruit.
Un arrêt. Un coup d'œil circulaire, assez lent pour n'attirer l'attention de personne.
Son visage inexpressif et banal passe inaperçu, son expression est neutre, et ses traits sont tels qu'on peut avoir du mal à les graver dans la mémoire.
Elle est là, puis elle n'est plus. La seule trace qu'elle laisse est olfactive, et elle se disperse très rapidement sur son sillage.
Un parfum de camphre.
Ses pieds se remettent en marche à nouveau, effleurant les flaques d'obscurité sur le sol, évitant les auréoles de lumière des quelques torches.
Tout de noir vêtue, elle disparaît parfois par intermittence, effaçant son existence aux yeux des rares passants.
À cette heure tardive, ils sont peu nombreux à arpenter les rues pavées de la Cité d'Orthelian, les quelques badauds qui errent encore ont le pas rapide, et traversent les ruelles avec hâte, de crainte d'une mauvaise rencontre.
Le chemin de Shade croise celui d'un veilleur avec une lampe-tempête, un homme au visage ridé qui garde une démarche souple malgré son âge avancé.
Sa présence est réconfortante, et lorsqu'à travers leurs fenêtres les habitants aperçoivent la lueur de sa lampe, ils se sentent en sécurité, à l'abri dans leurs foyers.

- Pathétique.

Elle, elle sait. Que même le dos à un mur, un homme peut se faire tuer sans même avoir le temps de s'en rendre compte. Qu'un chef de guerre au milieu de son campement et de ses soldats peut fermer les yeux et ne plus les ouvrir.
Que la sécurité est toujours relative, qu'elle n'est qu'un concept éphémère. Que dès que la nuit tombe, la mort rôde, sa faim jamais assouvie.
Certains se laissent bercer par l'illusion de pouvoir la dominer, un moment. Qu'elle soit à leur service et qu'ils puissent la manipuler comme une marionnette désarticulée, avant de la reposer comme si de rien n'était.
Ainsi peuvent être décrits ceux qui, depuis la fin de sa formation, il y a de cela cinq années, lui envoient en secret des enveloppes cachetées par une cire couleur sang.
Vengeances familiales ou personnelles, fratricides et parricides motivés par un héritage, meurtres de figures politiques véreuses ou honnêtes, de militaires corrompus ou gênants, de commerçants importants... Les raisons de verser le sang sont si nombreuses, si diverses.

Et pourtant, les commanditaires avaient très souvent le même comportement.
Lorsqu'elle venait en personne récupérer la prix de ses meurtres, on lui lançait une bourse en lui demandant de partir au plus vite.
Le fait de voir l'instrument de l'acte dont ils étaient les acteurs principaux les dévisager froidement, sans émotion aucune, leur rappelait trop qu'ils étaient les véritables meurtriers.
Elle n'était qu'une arme somme toute. Une arme dont la vue rappelait le sang qu'elle avait versé, et tachait la mémoire d'une marque indélébile.
La mort est un poids lourd dont on ne se débarrasse jamais.
Si Shade était celle qui fermait les yeux des cadavres, ce n'était pas elle qui était hantée par leur souvenir.
Elle n'avait aucun lien avec ses cibles, contrairement à ceux qui avaient payé pour qu'elle les élimine.
Le regard méprisant qu'on lui portait n'était qu'une issue, une manière de reporter sur autrui une faute qu'on avait commise soi-même.
Beaucoup trop de gens oubliaient que les assassins ne devaient leur existence qu'à ceux qui réclamaient leurs services.

Ainsi, elle avait décidé de n'accepter les missions qu'on lui confiait que lorsque le dernier versement de sa prime lui était payé en mains propres par celui qui avait envoyé l'enveloppe.
Elle désirait pouvoir les voir, et se dévoiler à eux, afin qu'ils prennent pleinement conscience de leurs actes.
Cela lui apportait une satisfaction morbide, l'un des derniers sentiments à avoir survécu en elle.
Shade était un fauve blessé, les cicatrices qui parcouraient sa peau claire en témoignaient à elles seules, mais ses plus profondes blessures n'étaient pas physiques.
À l'aube de ses 13 ans, elle avait vu mourir son innocence sous les coups de la réalité et des agissements de ceux qui l'entouraient.
Et de la haine.
Cette même haine qui motivait des hommes à prendre leur plume d'une main fébrile et à lui écrire, cette haine qui les consumait de l'intérieur, cette haine qu'elle ne ressentait pas et qui ainsi lui permettait de ne jamais trembler.
Cette haine qui avait scellé en elle toute trace de bonté, d'amour.

Tandis qu'elle s'engouffrait dans les ruelles de plus en plus serrées des bas quartiers d'Orthelian, ainsi que dans les méandres de ses pensées, elle se rendit subitement compte que le même bruit de pas la suivait depuis un bon moment. Elle continua sa route au même rythme, sans laisser voir qu'elle avait pu remarquer quoi que ce soit, mais en privilégiant les passages les plus sombres, où se terraient la lie de la Cité. Voleurs à la tire, brigands de petit ou grand acabit, en passant par des mercenaires et contrebandiers, ils étaient tous dans les alentours de l'Auberge de la Chimère, certainement l'une des plus glauques de cette partie du continent.
Alors qu'elle enjambait une loque puant l'alcool qui ressemblait approximativement à un matelot, celui qui la filait pressa le pas.

Shade bifurqua à droite et s'arrêta brusquement, sa navaja filant vers le vide de la ruelle qu'elle venait de quitter. Un quart de seconde après, un visage encagoulé fit son apparition, à l'endroit même où la lame fusait, rapide, mortelle. Elle rencontra un coutelas d'une autre facture, qui bloqua son attaque avec une telle force que l'onde de choc se répercuta dans le bras de la jeune femme. Son agresseur, sans relâcher la pression, alla à sa rencontre, les faisant chuter tous les deux. Ils roulèrent au sol, lames toujours croisées.
D'un même geste, ils firent remonter leurs armes respectives au niveau du visage, et Shade put découvrir celui de son agresseur.
Il s'agissait d'un jeune homme de son âge, aux yeux aussi noirs que les ténèbres qui les entouraient.
Et ces mêmes yeux transperçaient les siens, faisant remonter des souvenirs enfouis.
Shade entendait les beuglements de quelques badauds qui s'éloignaient de la rixe, embués dans un nuage de drogues dont l'odeur parvenait jusqu'à elle.
Ne cédant pas un centimètre à son adversaire, elle fixait la lame de ce dernier, qui luisait d'un liquide d'aspect malsain. Du poison.
Son propriétaire ricana, et elle suivit son regard, fixé sur son arme à elle, acérée et brillante.

- Tu n'as toujours pas réussi cette foutue Initiation aux poisons hein ?
- Je ne l'ai jamais passée, nuance.
- Tu cherches toujours autant la difficulté, Shade.
- Mais mon poignard n'est pas corrompu comme le tien, Farez.

Ils chuchotaient malgré le fait qu'il n'y avait plus personne aux alentours, une vieille habitude qui remontait à la surface. Comme d'un commun accord, ils relachèrent la pression au même moment et s'éloignèrent l'un de l'autre, se relevant avec célérité.
Farez fit alors une chose que Shade ne l'avait vu réaliser qu'en de rares occasions : un sourire.

- C'est une bien étrange manière d'accueillir un ami.
- Tu n'es pas mon ami.
- Ah, tu me brises le cœur.
- Tu as bien volé le mien.
- Nous étions bien des voleurs à l'époque, rappelle toi.

Un silence s'attarda quelques secondes, tandis qu'un vent nocturne se levait, assez froid pour glacer les os des plus robustes.
Shade épousseta ses vêtements, puis remit sa sacoche bien en place avant de faire volte face et de s'en aller lentement, sans même un regard pour son ancien camarade. Ce dernier l'interpella alors d'une voix claire.

- On m'a demandé de te tuer.

Elle s'arrêta, sans pour autant se retourner.

- Tu sais que les... clients manquent, et tu nous fais de la concurrence avec tous tes contrats. Il y a une prime sur ta tête, assez importante pour tenter même les plus malhabiles des Initiés.
- Alors cela veut dire qu'on ne t'a pas demandé de le faire mais que tu es là de ton propre chef.
- En effet.

Si Shade avait été persuadée de ne plus rien ressentir, l'étau qui lui serra le cœur à ce moment là ne put que la convaincre du contraire. Elle serra les dents sans un mot.

- Pour te prévenir.

La pression qu'elle avait ressenti se relâcha pour laisser place à un panel d'autres émotions qu'elle avait cru perdues à jamais.

- Que tu devrais mourir ce soir ou demain matin.

En face de Shade se trouvait la façade d'une vieille maison, autrefois aux murs blancs, à présent jaunis par le temps.
Une longue fissure s'était creusée à quelques centimètres d'une fenêtre aux volets fermés, rejointes par d'autres, plus petites.
La jeune femme avait l'impression qu'une crevasse de même ampleur s'était ouverte à la fois sous ses pieds et dans son cœur.
Lorsqu'elle se retourna, elle était blême.
Et Farez avait disparu.

Tout s'embrouillait dans sa tête, et elle cherchait désespérément une réponse au déluge de questions qui s'abattait sur elle.
Puis elle se rappela.
L'Auberge des Trois Voyageurs, quelques heures plus tôt.
La lenteur singulière avec laquelle la serveuse l'avait servie, mais surtout, son impardonnable et inhabituel laxisme quand à sa sécurité, sa prudence qu'elle n'avait jamais négligée jusqu'à ce jour. Cet unique écart allait lui coûter la vie.
Elle éclata d'un rire sans joie, les yeux perdus, fixant sans le voir l'endroit où Farez s'était tenu.
Il était sans doute le seul être qu'elle avait jamais pu aimer, mais il l'avait trahie.
Alors elle était partie, mais son cœur était demeuré aux côtés de celui qui au final...
Puis un semblant de lucidité lui fit remarquer le bout de papier abandonné par terre.
Les jambes soudainement lourdes, elle s'avança et le ramassa, plissant les yeux pour déchiffrer l'écriture serrée qui la recouvrait.


« Assassinée par un Assassin, n'est-ce pas la mort rêvée pour nous ?
Périr comme nous avons pu tuer des années durant... Je t'envie presque.
Au point de t'informer qu'il te reste assez de temps pour que tu puisses essayer de me tuer.
Tu garderas toutes tes capacités jusqu'à la fin, c'est un poison instantané, tu ne souffriras pas.
Je resterais en ville, reste à savoir si tu me trouveras, si tu en as envie.
      Farez.»



Le message retomba sur les pavés, poussé par le vent, tandis qu'au coin de la rue, une cape sombre claqua une dernière fois, plongeant encore plus profondément dans les entrailles d'Orthelian.
Le thème sera:
" Un Assassin. "

Les restrictions :
- Pas d'effusion de sang.

Telles étaient à la base les règles du duel littéraire auquel j'ai pris part.

Puis un jour, je me suis rendue compte que Farez et Shade me manquaient, et je me demandais ce qu'ils devenaient.

Si cela vous intéresse, vous trouverez le reste de leur histoire ici ! [link]

:bulletblue: Chapitre 2 :
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:bulletblack: Pour être sûr de ne rien manquer, n'hésitez pas à suivre la page FB de Sentinelle !

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Valere84's avatar
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Notez que cette critique, bien que liée au chapitre 1, englobe en fait les six premiers chapitres de ce qui, je l'espère, deviendra une longue saga.
Vous n'êtes pas sans savoir qu'il est difficile et laborieux de lire une création littéraire (au sens large du terme) sur le net, tant vous tomberez sur des écrits manquant d'imagination ou ne respectant pas un minimum les standards de la langue.
Or, lorsqu'on lit le travail de Silver, non seulement on ne trouve rien à redire à l'écriture, mais en plus on la trouve élaborée et prenante. Les lieux sont bien définis, les personnages agréablement introduits et la trame se profile de façon à la fois subtile et accrocheuse. Oui, dès la fin du chapitre 1, dont on a l'impression qu'il pourrait constituer une création à part, on a l'agréable surprise d'apprendre qu'il y a une suite! Youpi <img src="e.deviantart.net/emoticons/s/s…" width="15" height="15" alt=":)" title=":) (Smile)"/>
Bref, ça se lit agréablement bien et je pense que tous les "écrivants" du net, moi compris, pourront trouver l'inspiration dans l'écriture de Silver. On voit après tout, sur les étals de nos libraires, des ouvrages moins bien écrits que les Chroniques de Shade. La seule différence, c'est qu'on les paie ^^