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Sentinelle - Chap. 6

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Silver786's avatar
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- Il est là haut, sur le toit !

L'un des colosses envoyés à la poursuite de Naos s'énervait en contrebas, pointant son doigt boudiné dans leur direction.
Ne pouvant amorcer ses explications dans de telles conditions, Shade se saisit du col de Naos sans plus de cérémonie et l'entraîna avec elle vers le toit mitoyen.
Mais ce dernier, le souffle coupé, fut saisi d'effroi à la vue du fruit de ses larcins abandonné dans la gouttière du toit.
Incapable de résister à la traction implacable de la jeune fille, il opta pour une solution de dernier recours et se laissa tomber à terre de tout son poids. Prise dans son élan, Shade étouffa un juron et ne put que le relâcher, tandis que le voleur filait à quatre pattes dans la direction opposée, se ruant vers la gouttière, saisissant la bourse dodue et revenant vers elle tout aussi rapidement.

- Dépêche toi ou ils vont nous rattraper.

Bien qu'en son for intérieur Naos doutait de la capacité de leurs poursuivants à soulever leur masse jusqu'aux toits, il opina et dépassa même la jeune femme, évoluant sur les tuiles encore glissantes à cause de la pluie de la veille aussi facilement que s'il courait dans la rue.
Shade n'était cependant pas en reste, ses grandes foulées s'enchaînant avec un rythme régulier et silencieux.
Elle détaillait celui qu'elle considérait déjà comme un gamin, alors qu'il avait pratiquement son âge et la dépassait d'une tête.

- Il n'est pas taillé pour le combat. En revanche pour la souplesse...

Comme pour confirmer ses dires, Naos franchit un vide entre deux toits avec la grâce d'un chat, ne bronchant même pas à la réception alors que son pied droit s'était posé in extremis sur la première rangée de tuiles, avant de continuer sur sa lancée comme si de rien n'était, bien qu'ignorant lui-même où il allait.

Mais cela plaisait au jeune homme qui avait toujours apprécié ce genre de cavalcades. Il aimait courir après sa propre ombre, découvrir de nouvelles ruelles à explorer, de nouveaux toits et points d'observation d'où il pourrait contempler Orthelion avec un œil nouveau.
Et lorsqu'enfin il s'arrêtait pour reprendre son souffle, hors d'haleine, il avait l'impression d'avoir abandonné ses problèmes loin derrière lui.
Du moins, jusqu'à ce qu'ils ne le rattrapent à nouveau.

Jetant un bref regard derrière lui, il ralentit légèrement son allure, tout en réfléchissant à l'attitude à adopter par rapport à cette étrange personne qui était apparue de nulle part et prétendait l'avoir suivi depuis ce matin.
Frissonnant à cette idée, Naos se demanda subitement s'il ne ferait pas mieux d'essayer de la semer.
Mais sa curiosité était plus forte. Que lui voulait-elle au juste ?
Pourquoi l'avoir suivi lui, le voleur qui ne faisait partie ni de la Confrérie ni même d'une Guilde quelconque, plutôt qu'un autre ?

- Peut-être qu'elle veut justement m'enrôler dans la sienne ...

Cependant, il ignorait pourquoi mais sentait au fond de lui que la véritable raison n'était pas aussi banale.
Peut-être à cause du ton qu'elle avait employé en lui parlant.
Malgré tout, il avait quelques craintes à s'entretenir avec elle.
Contrairement aux brigands et autres mercenaires qu'il avait pu croiser, elle n'avait pas l'attitude d'une brute épaisse sans cervelle.
Dans ses yeux froids, il avait vu de la ruse qui se confondait avec une intelligence indéniable. Il y avait aussi vu la lueur terne de celui qui avait déjà ôté la vie à quelqu'un.
Et au vu de sa dégaine, il était fort à parier qu'elle ne l'avait pas fait qu'une fois.

Derrière lui, Shade entretenait également ses propres questionnements à son sujet.

- Je pourrais peut-être le former pendant qu'on cherchera d'autres alliés, mais il ne pourra jamais atteindre le niveau des Maîtres Assassins du Zéphyr en aussi peu de temps.

La jeune femme se tourmentait, se demandant si en définitive elle avait fait le bon choix en s'intéressant à ce voleur.
De plus, était-il fiable au point de le mettre au courant de ce qui se tramait et de leur propre projet ?
Ces informations étaient bien trop lourdes pour prendre le risque de lui en faire part et de le voir refuser de les rejoindre.
S'extirpant de ses cogitations, elle accéléra subitement, dépassa aisément Naos et lui coupa la route un peu plus loin, l'obligeant à s'arrêter.

- Si tu veux connaître ma proposition, suis-moi. Sinon, oublie notre rencontre.

Sans même laisser la possibilité et le temps au jeune voleur de formuler le début d'une question, elle avait repris sa course, se dirigeant à l'Est, vers les quais du Port d'Orthelian.
Abasourdi par sa soudaine rapidité, Naos se rua à la suite de l'assassin, sa curiosité l'emportant finalement sur ses dernières appréhensions.


            _________________________________________



D'innombrables flacons de parfum de multiples formes et aux contenus de diverses couleurs s'alignaient en ordre sur les grandes étagères de la petite échoppe, tandis que dans l'arrière-boutique, derrière un simple rideau aux motifs floraux, résonnait le bruit cristallin de fioles qui s'entrechoquaient.

Ces dernières ne portaient pas d'étiquettes, contrairement à celles qui étaient exposées et dont l'essence dominante où le nom avait été retranscrits avec soin sur de petites vignettes, d'une magnifique écriture incurvée.

En vérité, elles étaient entreposées dans un coffre ouvragé, posé sur une petite commode, d'où la difficulté de les extirper sans faire de bruit. Celle qui s'en chargeait le faisait néanmoins avec la dextérité de l'habitude, profitant de sa fouille pour mettre de côté les fioles qui ne contenaient plus qu'un fond de bouteille. Ses yeux bleux étincelèrent brièvement lorsqu'elle dénicha finalement l'objet de sa recherche.
Puis elle referma le coffre avec une petite clef qu'elle remit dans la poche de son tablier.

Malgré son âge qu'attestaient les nombreuses mèches blanches perdues dans la touffe bouclée de ses cheveux auburn, la parfumeuse semblait rayonner de vitalité, et c'est d'un pas guilleret qu'elle retourna derrière son comptoir, avant d'y déposer le fameux flacon, arrondi et rempli d'un liquide bleu-vert qui semblait légèrement phosphorescent.
Elle le déboucha, ouvrit un tiroir, le referma, ouvrit le suivant et en sortit une carafe de petite taille qu'elle remplit.

- Cinquante meletears d'extrait de Xanthium, soit deux pièces d'or et cinq d'argent. Tu achètes rarement mais tu achètes bien.

Farez mit fin à sa contemplation fascinée d'un parfum à la forme complexe dont le contenu aux teintes roses et violettes semblait s'animer.
Il se redressa puis se dirigea vers le comptoir, un demi sourire satisfait aux lèvres, avant d'y déposer une par une les pièces qui lui avaient été demandées.

- Je te remercie Alcéna, tes poisons sont toujours aussi efficaces.

Se saisissant de la fiole encore ouverte, il l'approcha de son nez et en renifla le bord avec prudence, avant de la reboucher et de la glisser dans l'une des poches de sa sacoche en cuir.

- Et odorants.

- Tu me flattes, Farez.

- Certes non, et le compliment est plus que mérité. Maintenant si tu le veux bien, parlons affaires.

Avec un sourire, Alcéna fit le tour de son vieux comptoir en cèdre et se dirigea vers la porte de son commerce, retournant un écriteau à double face qui indiquerait aux potentiels clients que " Le Jasmin Bleu " était fermé pour le moment. D'un air faussement mécontent, elle s'adressa à Farez qui était allé s'installer dans un coin de la parfumerie, sur une petite chaise cossue dont les motifs rose pastel et grenat tranchaient avec sa tenue sombre.

- Tu vas me faire perdre des clients à vouloir parler de ça en pleine journée.

- J'en suis désolé, mais j'essaie de gagner du temps. Je te paierai une compensation si tu le désires.

La vieille marchande agita sa petite main potelée d'un air impatient avant de tirer les rideaux brodés qui donnaient sur sa vitrine où pots-pourris, superbes fioles aux noms évocateurs et quelques bouquets de fleurs et herbes savamment composés offraient une image charmante digne d'une illustration de livre pour enfants.
Une couverture mignonnette qui dissimulait avec brio sa seconde occupation sous-terraine, beaucoup plus rentable.

- Roh, tais toi donc. Il n'y a pas grand monde ces temps-ci, et je m'ennuyais de toute façon.

Alcéna disparut dans son arrière boutique et réapparut quelques instants plus tard avec un plateau garni de quelques gâteaux accompagnés de deux tasses finement ouvragées ainsi que d'une théière assortie. Elle déposa son chargement sur une petite table à côté de Farez et s'assit à son tour avec un soupir d'aise avant de remplir les tasses avec soin.

- Se faire servir du thé par une empoisonneuse a un côté... pittoresque. J'espère que tu m'aimes assez pour ne pas vouloir me faire mourir de la sorte.

- Je ne m'abaisserais pas à utiliser l'un de mes précieux poisons pour un assassin de pacotille qui ne sait même pas reconnaître un thé d'une infusion.

Les deux vieux amis discutèrent de la sorte pendant un moment, s'échangeant quelques boutades acérées mais bon enfant qui agrémentaient leurs échanges de nouvelles et autres anecdotes.
Puis, lorsque les gâteaux de semoule ne furent plus que quelques miettes dans l'assiette, que les tasses eurent été remplies plus de quatre fois, la conversation changea subitement de ton.

Farez déposa avec désinvolture une petite bourse en cuir rouge à côté de la tasse de sa Gerbille préférée, qui avait en commun avec l'animal du même nom une vue, mais avant tout et surtout, une ouïe excellente. Telle était la raison de cette appellation, encore une fois issue de l'argot du Zéphyr, qui désignait les membres d'un des réseaux les plus flous et les plus importants de Shiraz: les informateurs.

Ne jamais entendre mais écouter, ne jamais voir mais regarder.
Telle aurait pu être leur devise, bien qu'en vérité leur immense réseau n'ait jamais laissé entrevoir les prémices d'une seule et même organisation. Car chaque Gerbille était libre de donner ses informations ou de les garder, faisant de ce fait pencher la balance des uns au détriment des autres. Les trahisons étaient monnaie courante, de sorte que chaque information qui circulait ne pouvait jamais être totalement considérée comme un atout, car elle pouvait très bien s'avérer n'être qu'un leurre.
Cette notion de double-tranchant servait finalement de contre-poids et équilibrait l'ensemble, même si au final personne ne faisait plus confiance à personne.

Farez, lui, avait appris à doser son usage des informations qui lui "tombaient" dessus, ainsi que le crédit qu'il leur accordait.
Il préférait se les procurer lui-même, à la source, plutôt que de se fier à un intermédiaire.
Mais il avait su tourner la situation à son avantage, et son propre réseau de Gerbilles avait été formé avec minutie et surtout beaucoup de temps, contrairement à d'autres qui contactaient le premier informateur qu'ils trouvaient sur place sans prendre la peine de se faire une idée du personnage.
Il avait appris à cerner, connaître, puis apprécier Alcéna au point de lui accorder l'un de ses simulacres de sentiments qui s'approchait le plus de la "confiance". Ou du moins, qui en était le moins éloigné.

La bourse qu'il lui avait donné ne payait pas seulement les informations que l'empoisonneuse partageait avec lui, mais également toutes les fausses pistes qu'il lui demandait de faire circuler à son propos. Sa localisation, ses activités, ses cibles, son état de santé...
Farez prenait un malin plaisir à s'inventer toutes sortes de mésaventures, faisant de lui l'assassin le plus malchanceux qui soit, et aux talents et capacités plus que discutables.

Mais cette fois-ci, il était également venu pour une autre raison, dont il fit part à la parfumeuse après une énième gorgée d'infusion à la verveine.

- Et dis moi Alcéna, que devient Athfar ?

Le regard de la vieille dame s'assombrit légèrement, assez pour que Farez puisse le distinguer. Mais il ne lui en fit pas la remarque pour autant.

- Hum, tu sais qu'en quittant le Zéphyr la vie ne devient pas vraiment facile, bien au contraire...

Son vis-à-vis hocha la tête d'un air grave. Il avait été présent lorsque Shade, contre toute attente, avait quitté la Confrérie avec fracas, et se rappelait bien des nombreuses manigances qui avaient été mises en place pour la détruire définitivement.
Mais leur estimation de la férocité implacable de la jeune femme avait été bien trop basse, et le prix qu'ils avaient payé pour cette erreur leur avait fait l'effet d'une douche froide, dissipant finalement, bon gré mal gré, leur ressentiment à son égard.
Néanmoins, ils s'étaient accrochés pendant un bon moment avant de lâcher prise.

Concernant son propre départ, Farez en riait encore de temps à autre.
Mais il était indéniable que les conséquences pouvaient être terribles, surtout pour ceux qui n'étaient pas capables d'endurer cette tension du lien qui les unissait encore à la Confrérie, avant qu'il ne se brise enfin.

- Les derniers murmures que j'ai pu saisir à son propos disent qu'il aurait été vu de nombreuses fois à Kardesh. L'information date de deux jours, et le contact a précisé que cela fait un certain temps qu'il n'a pas bougé de là, une semaine au moins.

- Je vois, merci.

La vieille femme avait vraisemblablement du mal à cacher sa curiosité quant aux motivations qui avaient poussé Farez à poser cette question. Mais elle garda le silence malgré tout, alors que Farez faisait tourner le fond de sa tasse d'un air concentré.
Puis il la reposa soudainement et se releva, marquant ainsi la fin de la discussion. Les douze coups de midi avaient déjà été sonnés par la vieille horloge sur le mur d'en face, depuis au moins deux heures.

- Vraiment, merci beaucoup Alcéna. Je pense partir dans très peu de temps, mais je ne manquerai pas de revenir te voir dès que je pourrais le faire, je te le promets.

- C'est toujours un plaisir Farez, fais bien attention à toi et n'en fais pas trop.

Le jeune homme fixa la Gerbille qui faisait de son mieux pour cacher sa déception. Soudainement, il eut envie de prendre la vieille dame dans ses bras, comme il l'aurait fait avec l'une de ses grand-mères, si seulement il avait pu les rencontrer.
À la place, il lui serra l'épaule avec affection avant de se diriger vers la porte qu'il ouvrit, laissant entrer dans la boutique un flot de lumière qui faisaient briller les récipients des parfums les plus proches. Tout en faisant pivoter l'écriteau une nouvelle fois, il s'adressa à la parfumeuse:

- Au fait. Je pense que j'aurais besoin de réquisitionner Athfar pour une mission qui s'annonce difficile.

Du coin de l'œil, il vit la silhouette de sa Gerbille qui s'animait sur sa chaise, et se retourna assez vite pour voir la lueur qui brillait dans ses yeux bleux.

- Du moins, s'il me laisse le temps de lui expliquer et qu'il ne m'éventre pas avant.

Après un soupir intentionnellement exagéré, Farez se faufila à l'extérieur et fit sonner la clochette de la porte vitrée en la refermant.

Alcéna, elle, se releva avec un sourire qui adoucissait son visage marqué par de belles rides, avant de remettre les tasses vides sur son plateau et se diriger vers son arrière-boutique, histoire de faire l'inventaire de ses poisons en fin de stock.
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Lulabella-chan's avatar
J'ai dévoré les chapitres précédents et j'avoue que maintenant j'ai le goût de trop peu ... C'est cruel de commercer à lire et de voir qu'il n'y a pas de suite T-T

Déjà, félicitation pour t'être créer ton propre univers. Ensuite, j'aime beaucoup ton style d'écriture, très fluide. L'intrigue m'a l'air un peu complexe mais tient en halène.

Bref, tout ça pour dire que c'est un bon début !